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Les (vrais) chasseurs de fantômes ne cesseront jamais d'y croire

Munis de lampes torches, de caméras et d'appareils divers, les chasseurs de fantômes amateurs persistent à traquer les ectoplasmes un peu partout, y compris en France.
Image : GussDX.

Depuis la fin des années 2000, la chasse aux fantômes n'en finit plus de gagner en popularité. La journaliste Sharon Hill a estimé en 2012 qu'au moins 1 600 groupes de chasseurs d'ectoplasmes amateurs évoluaient aux États-Unis. Ces individus qui s'aventurent dans des lieux prétendument hantés pour y capturer la manifestation de quelqu'entité paranormale sont sans doute encore plus nombreux aujourd'hui. Ils ont même traversé la manche : depuis qu'elle a été fondée en 2014, l'Union française en recherches paranormales (UFRP) a recensé 23 équipes et une centaine d'enquêteurs spécialisés dans la traque aux spectres.

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De part et d'autre de l'Atlantique, le mode opératoire est le même. Bardés de lampes-torches, de caméras plus ou moins sophistiquées et d'appareils de mesure en tout genre, les chasseurs de fantômes s'aventurent dans des lieux réputés hantés pour y enregistrer des événements que des explications rationnelles peineront à expliquer : des objets qui bougent sans raison, des variations de température ou de champ électromagnétique, des brumes et autres apparitions. Certains de ces frontaliers de l'irréel ne sont que des amateurs qui grappillent difficilement quelques dizaines d'abonnés sur YouTube, d'autres sont des stars de la télévision. C'est d'ailleurs grâce au petit écran que la pêche aux poltergeists est devenue si populaire.

Jason Hawes a fondé la Rhode Island Paranormal Society (RIPS) en 1990 pour rassembler les individus confrontés à des expériences extraordinaires. Une initiative motivée par ses propres sensibilités paranormales : dans son ouvrage Seeking Spirits, ce natif de l'État de New York affirme avoir commencé à "voir des choses" à 20 ans, après que sa force vitale a été manipulée par une adepte de la médecine énergétique. Quelques mois d'investigations spiritistes sous la bannière du RIPS plus tard, Jason Hawes a fait la connaissance d'un autre passionné de paranormal appelé Grant Wilson. Ces deux plombiers de formation ont créé The Atlantic Paranormal Society (TAPS) en 1993.

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Jason Hawes et Grant Wilson, plus menaçants qu'un poltergeist. Crédit : Travel & Escape.

La TAPS a mené de nombreuses enquêtes dans son coin pendant une dizaine d'années. Et puis, en 2003, Jason Hawes et Grant Wilson ont été approchés par une société de production enthousiaste à l'idée d'apporter leurs aventures surnaturelles aux téléspectateurs. Une initiative qui pourrait bien avoir été inspirée par le succès de Most Haunted, une émission britannique de chasse aux fantômes inaugurée l'année précédente. Les deux associés ont signé et mis dix épisodes sur pellicule. Le premier volet de Ghost Hunters a été diffusé sur Syfy le 6 octobre 2004. Accompagnés de cinq coéquipiers, dont deux démonologues, les plombiers y investiguent une maison hantée à coups de magnétophones et de caméras infrarouge. Le succès a été immédiat : grâce à Ghost Hunters, la chaîne spécialisée dans le mystère a enregistré quelques unes de ses meilleures audiences.

Le sillon creusé par les aventures télévisées de la TAPS s'est vite révélé très fertile. Dans la lignée de Ghost Hunters, de nombreux programmes touchant de près ou de loin aux fantômes ont fleuri aux États-Unis : les séries Ghost Whisperer et Médium sont nées en 2005, les télé-réalitésParanormal State et Ghost Adventures ont été lancées respectivement en 2007 et 2008. Dans le coeur des traqueurs amateurs, l'émission de MM. Hawes et Wilson reste cependant la référence : "Je remercie Dieu pour Ghost Hunters sur Syfy, déclarait en 2008 Patti Star, la fondatrice du groupe Ghost Chaser International. Grâce à cette émission, les gens voient que nous sommes très sérieux".

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Aujourd'hui, l'intérêt du public américain pour les programmes centrés sur les enquêtes paranormales est toujours vif. La saison 11 de Ghost Hunters est actuellement en préparation et le succès de Ghost Adventures est tel que la série a eu droit à son spin-off. Ceux qui aiment à giboyer l'ectoplasme ont même inspiré Hollywood : en 2011 et 2012, les deux films d'horreur Grave Encounters ont fait d'eux leurs héros. Cette nouvelle tendance a tant captivé les États-Unis qu'elle s'est propagée partout dans le monde et notamment en France, où les chasseurs de fantômes n'ont jamais été aussi nombreux.

The Atlantic Paranormal Society à la française s'appelle R.I.P - Recherches Investigations Paranormal. Ce groupe a été créé en 2002 par Anthony et Nicolas Augusto, deux frères dont l'amour du surnaturel a été forgé dès l'enfance par X-Files et Les Grandes énigmes du siècle. Comme Jason Hawes et Grant Wilson, les Augusto ont enquêté en amateurs pendant plusieurs années avant d'être contactés par les gros portefeuilles du petit écran. Leurs enquêtes spectrologiques sont brièvement apparues à la télévision suisse en 2007, puis sur W9 le temps d'une émission unique en 2009. Ce n'est qu'en 2011 que les Français ont eu droit à leur propre série sous l'égide du groupe Canal+. Diffusée sur le réseau Planète+, RIP a connu quatre saisons avant d'être déprogrammée en 2014.

L'équipe de RIP. Crédit : Planète+ A&E.

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Au cours de ces quatre années passées à arpenter des bâtisses inquiétantes et autres souterrains glauques, détecteurs de champs électromagnétiques à la main, les frères Augusto et leurs coéquipiers ont amorcé la démocratisation de la traque aux spectres hexagonale. Pour Anthony, tout remonte à la diffusion de la deuxième saison de RIP, en 2012 : "Avant cette période, n'étions que quelques groupes qui se comptaient sur les doigts d'une main, a-t-il expliqué à Motherboard. Je pense que notre émission n'est pas étrangère à tout cela." Aujourd'hui, le groupe Facebook officiel de la série compte plus de 25 000 abonnés.

En plus d'avoir été le premier - et à ce jour, l'unique - programme français exclusivement dédié aux enquêtes sur le surnaturel, c'est RIP qui a inspiré la création de Chasseur de Fantômes. Depuis 2014, cette émission diffusée exclusivement sur Internet n'en finit pas de gagner en popularité : avec 400 000 abonnés et 10 millions de vues sur sa chaîne YouTube, 60 000 fidèles sur Facebook et 66 000 sur Twitter, son créateur Guillaume "GussDX" Durieux est sans doute le plus célèbre pisteur de phénomènes paranormaux de France. Sa notoriété est telle qu'il a été convié sur France Inter en mars dernier pour évoquer la passion qui lui sert de gagne-pain.

GussDX, chasseur de fantômes et de filtres. Crédit : GussDX.

Pour ses enquêtes, GussDX s'aventure dans des lieux réputés hantés, seul et bardé de caméras façon Antoine de Maximy. Des repérages à la post-production, c'est lui qui fait tout. Ses émissions sont diffusées en accès payant sur son site officiel une semaine avant d'être mises en ligne gratuitement sur YouTube. Grâce à ses revenus, il soutient seul sa femme et ses trois enfants ; c'est dire si la machine tourne bien. Avant de se lancer dans la traque des phénomènes surnaturels, Guillaume Durieux réalisait des vidéos consacrées à Minecraft et à ses extensions horrifiques. Un passage du virtuel au réel qui lui semble logique : "J'ai découvert (la chasse aux fantômes) avec R.I.P ou Ghost Adventures, a-t-il expliqué au site web d'actualité Un Jour en mars dernier. Je trouvais ça juste génial et je me suis toujours dit "J'adorerais faire ça"."

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En France comme aux États-Unis, l'émergence de ces poids lourds a suscité de nombreuses vocations. Les chasseurs d'ectoplasmes amateurs sont partout, du Pas-de-Calais aux Pyrénées Orientales. En général, ces passionnés filment leurs traques et les diffusent sur YouTube. Certains chassent en solitaire ou avec leur chien, d'autres s'organisent en petits groupes, beaucoup reconnaissent volontiers s'être lancés après avoir découvert la discipline à la télévision. Seuls ou à plusieurs, les enquêteurs les plus appliqués peuvent tenter d'intégrer l'Union française en recherches paranormales. L'admission se fait sur dossier. "Si l'équipe est acceptée, elle devient adhérente et "force de frappe" de son secteur pour l'UFRP en cas de demande d'enquête", explique le co-créateur de l'association Nicolas de Civille.

Si votre maison vous inquiète, que des bruits étranges y résonnent, que les animaux s'y comportent bizarrement, vous pouvez formuler une demande d'enquête sur le site officiel de l'UFRP. L'association en reçoit en moyenne une chaque jour. Si votre requête est jugée sérieuse, les responsables du groupe chargeront l'équipe la plus proche de votre domicile d'investiguer vos phénomènes surnaturels. "Il faut savoir qu'une demande sur deux n'aboutit pas, indique M. de Civille. Premièrement parce qu'une discussion au téléphone peut suffire pour rassurer la personne et deuxièmement, parce qu'il y a de fausses demandes d'enquête. Pour tester notre sérieux ou celui d'une de nos équipes."

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Depuis la création officielle de l'association en novembre 2014, environ 150 investigations ont été menées chez des particuliers par les 23 équipes de l'UFRP. Leur mode opératoire est très similaire à celui des populaires Ghost Hunters et assimilés : les enquêteurs se rendent sur place et discutent avec l'occupant du bâtiment supposément hanté avant d'y effectuer des mesures diverses. Relevés de température, enregistrements audio et vidéo : "à la suite de nos enquêtes, un travail scientifique d'analyse est effectué par nos équipes afin de créditer ou non ces preuves", explique le site officiel de l'Union française en recherches paranormales. Un rapport est ensuite dressé et envoyé au commanditaire de l'enquête.

Bien que la chasse aux fantômes soit largement considérée comme une pseudo-science dénuée de méthode, Nicolas de Civille assure que la meilleure façon de convaincre un sceptique est de le faire participer à une investigation. A l'en croire, un incrédule "un minimum ouvert d'esprit" ne pourrait que constater que tout est vrai, que les entités surnaturelles existent bel et bien. "Imaginez si tous les groupes et enquêteurs solos réunissaient leurs preuves afin de le présenter à des organismes scientifiques, nous a-t-il lancé. Ils ne pourraient que constater l'existence de la vie après la mort, entre autre !"

Le co-fondateur de l'UFRP l'affirme sans crainte : "Je crois aux fantômes mais ce terme me dérange car il est assimilé à des phénomènes malsains, véhiculés par des légendes, des sites internet, des religions. Je préfère le terme entité car cela englobe toutes sortes de phénomènes." L'imposant forum surnaturaliste Paranormal Network grouille d'internautes convaincus d'avoir eu à faire à ces entités. Cette foi solide ne les empêche pas de pourfendre les vidéos ostensiblement truquées, qu'exècre également Nicolas de Civille. Il accuse : "Certains groupes n'hésitent pas à monter des preuves pour faire monter l'audimat."

Malheureusement pour les convaincus, aucun gage indéniable de l'existence de phénomènes paranormaux n'a jamais été présenté au public. Par contre, plusieurs traqueurs de fantômes plus ou moins médiatiques sont lourdement suspectés de fabrication de preuves. En 2009, l'un des membres de l'équipe de Ghost Adventures a prétendu que son détecteur de champs électromagnétiques lui avait été arraché des mains par une entité ; la vidéo de l'événement montre clairement qu'il l'a en fait jeté lui-même. Les Ghost Hunters sont soupçonnés de manipulations similaires. GussDX a également été accusé d'avoir retouché une de ses vidéos pour dissimuler un trucage, indices sérieux à l'appui. Bien sûr, tous promettent sans relâche que ces événements sont parfaitement authentiques.

Que l'on ait envie d'y croire ou pas, on est obligé de constater que la nouvelle popularité des enquêtes sur le paranormal a fait éclore un vrai petit business dans les pays anglophones. Jason Hawes et Grant Wilson ont co-signé sept ouvrages dédiés au surnaturel, les boutiques spécialisées dans l'équipement pour chasseur de fantômes pullulent, de nombreuses agences d'événementiel proposent des traques au tout-venant. En France, Anthony Augusto et trois anciens membres de R.I.P sont employés comme consultants par les soirées Ghost Hunt. Le pionnier du surnaturel français s'apprête également à publier son premier livre, Profession : Chasseur de fantômes. Preuve est faite que l'immatériel peut faire palper.