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reportage

Dans l’hôpital du Moyen-Orient qui réalise des impressions 3D pour les blessés de guerre

En Jordanie, grands brûlés, victimes de torture et autres patients sont recueillis par des chirurgiens avant d’être renvoyés au front.

Photo : des patients à l'hôpital de chirurgie réparatrice de Médecins Sans Frontières à Amman, en Jordanie. Toutes les photos sont de l'auteure

Les corps et les esprits sont réparés à l'hôpital de chirurgie réparatrice du Moyen-Orient réservé aux blessés de guerre, avant d'être renvoyés en zone de conflit quelques mois plus tard.

Je me trouve à Amman, la capitale de la Jordanie – un royaume désertique aride relativement petit. Le site abrite l'ancienne ville de Petra, à savoir la cité où Indiana Jones découvre le Saint Graal. Le chaos règne tout autour de la ville. Amman est bordée par la Syrie au nord, tandis que l'Irak et l'Arabie Saoudite jonchent l'ouest.

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« C'est l'un des derniers pays stables de la région », déclare le directeur de la mission de Médecins Sans Frontières Marc Schakal, afin de m'éclairer sur la situation géographique de l'hôpital.

Pendant 10 ans, près de 10 000 opérations ont été pratiquées à l'hôpital sur plus de 4 500 patients. En moyenne, les patients restent six mois à l'hôpital pour recevoir des soins de longue durée. Certains sont cloués au lit, dans des fauteuils roulants, ou risquent l'amputation. D'autres portent encore les stigmates de séances de torture.

Le mois dernier, une imprimante 3D a été installée pour confectionner des prothèses sur mesure des membres supérieurs, qui épousent parfaitement les mensurations des patients.

On pourrait presque retracer les conflits de la région au travers des malades. Au début, la quasi totalité des patients étaient Irakiens, selon Schakal. Désormais, ils arrivent surtout de Syrie – même si les Yéménites, les Irakiens et les Palestiniens sont encore très nombreux.

Un patient en pleine séance de kinésithérapie, à l'hôpital de chirurgie réparatrice de Médecins Sans Frontières

L'hôpital a été implanté il y a dix ans, mais les stigmates de la guerre sont toujours les mêmes. Les visages à moitié déchirés et les os brisés sont légion. Ces mêmes blessures catastrophiques sont toujours engendrées par les mêmes causes : les armes, les balles et les effondrements constants ; même si les responsables de ces blessures diffèrent.

Parfois, les auteurs de ces actes se trouvent au sein de l'établissement. En général, les employés ne demandent pas de précisions sur les histoires personnelles des patients, qui voyagent souvent depuis leur domicile après avoir été auscultés par des médecins locaux. Nous rencontrons des militants engagés, affirme le docteur Schakal, même si la majorité des patients sont des civils – des boulangers, des électriciens, des maçons ; des femmes, des hommes et des enfants.

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Cet hôpital de huit étages dispose de deux paliers consacrés aux interventions préopératoires et deux autres dédiés à la convalescence. Il est également équipé d'une salle de gym pour la physiothérapie et d'une salle d'isolement, la véritable fonction du dernier étage est quant à elle beaucoup moins évidente.

« Ici, nous ne parlons pas de pathologies. Ce sont des réactions normales à des situations anormales omniprésentes dans leurs pays », me dit la directrice du département psychosocial Emisa Birri, assise dans son bureau lumineux qui offre une vue imprenable sur la ville.

Une Italienne est chargée de la santé mentale des patients. Son corps malingre peine à remplir son bas de survêtement Adidas. Elle tente d'effacer les symptômes de ses patients, dont la plupart souffrent de les expériences passées – et cherche également à les rendre plus résistants pour les préparer aux éventuels traumatismes à venir. Il y en aura d'autres, c'est certain. « En général, les patients sont sujets à des flashbacks, des cauchemars, des angoisses et des dépressions », étoffe-t-elle.

Son département compte 160 admis pour le moment, ce à quoi elle doit ajouter la gestion d'une école – la première de Médecins Sans Frontières. C'est une activité prenante mais nécessaire, dit-elle. Les enfants souffrent mais n'ont pas d'activités ordinaires.

Birri travaille pour les MSF sur divers sites au Moyen-Orient, y compris en Syrie et en Libye. Selon ses dires, les réactions face à la guerre et les traumatismes sont les mêmes partout. « Lorsqu'ils ne diminuent pas [ou du moins sur le plan médical], nous parlons de pathologie, mais la situation est plus compliquée pour les Syriens ou les Irakiens, car les traumatismes sont rarement uniques. Une bombe peut exploser un jour et une autre la semaine suivante ».

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À l'extérieur de son bureau, un thérapeute et un physiothérapeute aident un adolescent à se déplacer à l'aide d'une béquille. Après deux tentatives, ses yeux restent rivés au sol, sous les encouragements des employés de l'hôpital. Birri les regarde passer et me dit, « Nous savons qu'il n'y a rien de magique là-dedans. Nous sommes des humains assurément solides. »

Les membres du personnel tentent d'instaurer un climat de sérénité lors des thérapies de groupe pour les aider à surmonter ces épreuves et leur rappeler que leur famille compte sur eux. On évoque parfois la religion – est-ce vraiment judicieux de conseiller à un rescapé de guerre de croire en Dieu ?

Néanmoins, dans cette longue course vers la guérison, la foi peut se révéler être un excellent remède pour gérer les maladies mentales, selon différents employés de l'hôpital. En réalité, les patients ne peuvent plus s'approvisionner en médicaments lorsqu'ils retournent à leur domicile.

Birri se montre assez pessimiste sur le retour des patients car ils sont renvoyés vers un espace « sans frontières » : Vous ne savez pas ce qu'il va leur arriver ni même à quoi ils vont penser. « Tous les membres de l'hôpital se préoccupent de leur situation ».

Cheveux roux, paré d'un survêtement, Akram vit depuis six mois dans un hôpital d'Amman. Il fronce les sourcils lorsqu'il parle. Il n'a plus de main droite et est encore dans l'attente d'une greffe. Les chambres sont bien vides selon lui. Elles sont entourées de simples murs beiges, relevés par des encadrures de portes oranges, et il y règne silence permanent. Un silence tellement omniprésent que le bruit de ses béquilles résonne sur le sol stérile lorsqu'il erre dans les couloirs.

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Aucune région n'est comparable à son lieu d'origine au sud de la Syrie – il se rappelle encore de la nuit des attaques, le bruit dans la rue et du moment où sa maison a été bombardée et son corps irréversiblement blessé. Cet homme de 34 ans est resté dans le coma pendant six heures. Il ne pouvait plus marcher à son réveil. Malgré les sept opérations chirurgicales pratiquées en Syrie, sa jambe s'est infectée. Les médecins syriens lui ont dit qu'ils ne pouvaient plus rien faire.

Un ami l'a aidé à traverser la frontière pour aller en Jordanie, où il s'est alors présenté au MSF. Grâce à une chirurgie et une longue période de physiothérapie, il peut de nouveau boitiller. Il a également participé à des thérapies de groupe pour apprendre à gérer la souffrance et a volontiers partagé des conseils avec les autres participants.

« Nous apprenons à classifier et gérer la douleur : ça nous occupe, nous pouvons échanger avec les autres sans nous isoler des autres », dit-il. « Ça nous aide aussi à réduire les mauvaises pensées ».

Akram résidait à Daraa, ville désormais connue comme le « berceau de la révolution » – au moins 15 enfants ont été arrêtés et torturés en 2015 après avoir gribouillé des graffitis anti-gouvernement sur les murs d'une école. Akram se prépare à y retourner même s'il a été témoin d'atrocités. Même si ses blessures physiques sont en passe d'être guéries, les stigmates mentaux sont quasiment devenus insoutenables. Sa femme, ses frères et sœurs et ses parents vivent encore sur place.

« La situation est très difficile pour moi », me dit Akram sur un ton déterminé. « J'ai hâte de rentrer. »

Dans moins d'un mois, il devra retraverser la frontière syrienne.

« Je n'ai pas le choix. »

@sallyhayd