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Société

Les nouveaux bidonvilles de Bagdad

J’ai observé Bagdad par la fenêtre alors que nous traversions le centre-ville. C’était difficile d’entrevoir quoi que ce soit, sachant que notre véhicule allait à 145 km/h. Et notre conducteur avait de bonnes raisons : la zone où nous nous trouvions...

Photos : Dylan Roberts

Assis sur le siège arrière de notre voiture, j’ai observé Bagdad par la fenêtre alors que nous traversions le centre-ville. C’était difficile d’entrevoir quoi que ce soit, sachant que notre véhicule allait à 145 km/h. Et notre conducteur avait de bonnes raisons : la zone où nous nous trouvions avait été bombardée quatre fois le matin même. Avec son anglais rudimentaire, notre fixeur nous a expliqué que pour se faire une vraie idée du nombre de morts à Bagdad, il fallait doubler les estimations des journaux. La plupart de ces explosions sont orchestrées par des militants sunnites et sont dirigées contre la population chiite.

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L’époque des kamikazes est révolue. Ces derniers jours, les explosions étaient méticuleusement organisées pour coincïder avec les pics de trafic. La vieille technique qui consiste à ouvrir sa veste et hurler que Dieu est grand n'est plus trop d'usage. L'heure est plutôt aux voitures truffées d'explosifs et aux détonateurs placés à des kilomètres de la zone d'explosion. Bienvenue dans un Bagdad moderne et dépourvu de troupes américaines. On y trouve plein de garçons aux tempéraments colériques, tellement dévoués à leur religion que même Gary Busey aurait l’air normal en comparaison.

Nous nous sommes enfoncés dans les rues sales de la banlieue proche pour rencontrer quelques familles dans un des neuf districts de Bagdad, Al-Jidida, également surnommé « le nouveau Bagdad ». Notre guide s’appelait Canon Andrew White, un prêtre anglican de Cambridge, en Angleterre. À chacune de ses visites de routine, il se fait accompagner d’un convoi de trois voitures et de soldats irakiens possédant plus d’armes que tout l’État du Texas.

La plupart de ces armes venaient des États-Unis. Canon White m’a calmement informé que les rues que nous traversions étaient les plus dangereuses de toute la ville. Pas seulement à cause des bombardements, mais aussi parce qu’elles abritaient de nombreux gangs. J’ai mieux compris pourquoi les soldats du camion qui nous devançait avaient changé d’expression – leurs visages montraient clairement qu’ils réfléchissaient à un nouveau choix de carrière.

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Dans la rue, on pouvait voir des moutons se faire décapiter. Un gosse cuisinait une de leurs têtes au chalumeau. Il n’y a rien de tel que de respirer l’odeur des crânes de moutons brûlés au petit matin.

Dans les zones résidentielles, des cabanes à outils faisaient office de maisons et des fils électriques pendaient dangereusement, comme une invitation à se prendre 10 000 volts d’électricité en pleine face. Les égouts à ciel ouvert quadrillaient le quartier. Partout, la merde débordait et commençait à inonder les rues.

Des ordures étaient empilées un peu partout, et les gosses du coin avaient construit une piscine de fortune en plein milieu des poubelles. Quand on leur a demandé pourquoi, ils nous ont simplement répondu : « Où voulez-vous qu’on joue, sinon ? »

Nous avons visité une petite pièce où habitaient douze personnes. Elle était sombre et décorée de portraits d’anciens présidents irakiens. Il y avait aussi une petite télévision qui ne diffusait que des prières préenregistrées entre deux tubes déprimants des années 1970.

Avant d’entrer, Canon White a chaleureusement salué les résidents, pendant que la sécurité inspectait le toit et les allées voisines.

Nous nous sommes vite rendu compte que quelque chose ne tournait pas rond dans cette minuscule maison. En discutant avec eux, nous avons compris que tous étaient atteints d'une déficience mentale, fruit de relations incestueuses entre leurs parents.

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Il existe beaucoup de familles dans la même situation et, dans ces circonstances honteuses, le gouvernement les met au ban : il les relègue dans la zone la plus dangereuse de la ville pour qu'elles s'entassent dans une petite chambre, sans nourriture et sans distraction autre que la visite ponctuelle d’un prêtre anglican.

Une des femmes faisait au moins 130 kilos et n’avait presque plus de jambes. Elle venait de donner naissance à un enfant dont le père était un membre de sa famille qui se trouvait également dans la maison. Faute de berceau, le bébé dormait dans une petite boîte en bois.

Le sol était recouvert de fientes d’oiseaux et des pigeons se battaient dans la pièce. Les autres résidents se sont mis à pousser des cris hystériques. Canon White les a calmés et a prié pour chacun d’eux. Sa dernière prière a été ponctuée d’une coupure d’électricité. La famille a explosé de rire. Une fois calmés, Canon White leur a proposé une communion. Un par un, ils se sont approchés de lui, certains en rampant, d’autres en boitant péniblement. Alors que les soldats commençaient à stresser, on a décidé de partir. Les résidents ont dit au revoir à Canon White en l’appelant « papa ». D’autres se sont mis à pleurer.

Nous sommes revenus dans la voiture pour poursuivre les visites. Canon White rend visite à autant de foyers que possible pendant la semaine, qu’ils se situent dans une zone sécurisée ou non. Ses jours se suivent et se ressemblent, et demain ne fera pas exception à la règle.

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