Les nouvelles routes du sida

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Les nouvelles routes du sida

Un photographe français a passé du temps avec les malades du sida en Birmanie, où l'épidémie ne cesse de s'aggraver.

Photos et texte de Chris Huby/Haytham Pictures

L'épidémie du sida en Birmanie a été redécouverte localement il y a une quinzaine d'années, lorsque les ONG ont réussi à s'infiltrer dans des zones qui étaient à l'époque encore interdites par la junte militaire. Les travailleurs humanitaires se sont vite rendu compte que l'ampleur de la maladie dans le pays était bien plus grave que prévue. Les locaux, privés d'informations et laissés sans soins, propageaient le virus sans même le savoir.

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Le nord du pays, région de tous les trafics du Triangle d'or, a toujours été maintenu dans un flou volontaire et une surveillance militaire importante. Le secret devait dominer et la junte a tout fait pour l'entretenir – évidemment de manière totalitaire, et ce n'est que logique lorsque l'on comprend ce qu'il s'y passe. C'est une véritable zone de non-droit. Les mines, la drogue et la prostitution sont autant d'éléments liés directement entre eux. Tout ceci a créé un effet domino qui a multiplié le nombre de malades du sida. Extrêmement pauvres et vivant sous une dictature sévère, des milliers de Birmans sont obligés de travailler dans les mines, là où circule beaucoup d'héroïne, premier vecteur de contamination – une drogue qu'ils prennent pour tenir le coup et enchaîner le plus possible dans des conditions déplorables.

C'est encore valable aujourd'hui, malgré la soi-disante « ouverture » que le régime revendique depuis quelques années. Depuis plus de deux ans, on dit que la démocratie est en train de s'installer, mais c'est évidemment un masque assez hypocrite. La dame de Rangoun, Aung San Suu Kyi, parle d'un simple « changement de vernis » – ce qui est la bonne expression. Il y a certes bien plus de touristes sur les sites archéologiques qu'avant, des entreprises privées s'installent dans les grandes villes, mais au fond le régime n'a pas vraiment changé : il suffit de voir les anciens représentants de la junte installés à l'assemblée ou au gouvernement de manière officielle. Aussi, de nombreuses régions restent en conflit ouvert. Les différentes ethnies, certaines très mal connues, vivent une violence accrue et tous les trafics se poursuivent. Les sanctions internationales et cette fausse démocratie n'ont fait que creuser les problèmes.

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J'ai entendu parler de l'épidémie de sida dans le pays lors de l'un de mes voyages en 2006. C'est un pays que j'ai toujours aimé, malgré la dictature. À force d'y aller, j'ai rencontré des locaux et des responsables d'ONG qui m'ont confié les vraies problématiques dans lequel il est plongé. Le sida est l'une des plus importantes – pourtant, on n'en parle presque jamais. C'est un sujet qui fait peur. C'est un désastre humain, social et géostratégique qui m'a touché.

Pour cette série de photos axées autour de la maladie, j'ai travaillé localement plusieurs semaines avec de nombreux organismes qui m'ont donné accès aux patients, aux locaux et aux villages où sévit la maladie. Ce qui est important pour moi, c'est de parler de ce qu'il se passe sur place et de montrer toutes les étapes de l'effet domino qui propage le sida vers la Chine, la Thaïlande et les autres pays d'Asie du Sud-Est – qui voient ça comme un fléau et en profitent pour dénoncer les réfugiés birmans qui étaient déjà traités avec mépris par le passé. C'est un problème très mal connu à l'international – pourtant, les experts ont surnommé la Birmanie le nouveau berceau du sida asiatique et la situation est telle que la maladie est de plus en plus vue comme une infection comme une autre. Certains la considèrent même comme une simple grippe qui finira par passer – signe d'un important manque d'informations.

Si les chiffres autour de la maladie ne sont pas précis – il y aurait actuellement entre 160 000 et 500 000 malades selon les ONG, 40 000 selon les autorités –, certains cas sont vraiment extrêmes. Je me souviens d'une jeune femme malade que sa famille avait abandonnée dans la forêt pour s'en débarrasser, faute de moyens. Paralysée par sa maladie, atteinte d'un double cancer, elle est restée là plusieurs jours, sans rien manger, à souffrir le martyr et à attendre la mort. Elle a eu de la chance qu'un groupe passe là par hasard pour la recueillir.

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La pauvreté dans laquelle est plongé le pays et qui touche 30 % de la population conduit à d'autres nombreuses aberrations. J'ai rencontré des malades qui avaient revendu leurs médicaments à leurs voisins puisqu'ils n'avaient plus aucune ressource. Aussi, les ouvriers ne vont pas automatiquement se faire examiner car être porteur du sida en Birmanie signifie également perdre son emploi. Certains, lorsqu'ils sont détectés positifs, accusent leur femme d'avoir ramené le sida dans leur couple – alors que ce sont les hommes qui se droguent et qui fréquentent les prostituées autour des mines. Évidemment, même s'ils sont sous traitement, la plupart des malades vivent dans l'anxiété permanente.

Souvent, les soins sont prodigués par les familles mais, en raison de la pauvreté, le combat est très compliqué. Les ONG internationales – notamment Médecins sans frontières – font donc le boulot en dispensant un maximum d'informations – pour ce, il existe de nombreux centres, de Rangoun à Myitkyina. Ils distribuent aussi la trithérapie gratuitement – c'est d'autant plus indispensable qu'un traitement coûte environ 30 dollars. Cette mission est, pour cette ONG, l'une des plus chères de toutes. Aujourd'hui, 25 % des contaminés meurent toujours de la maladie car ils arrivent trop tard dans les cliniques de soin. La tuberculose multirésistante, qui est très importante dans le pays, est le facteur qui tue le plus de malades du sida. Les chiffres annoncent environ 300 000 tuberculeux en Birmanie, globalement au nord du pays, et 20 % d'entre eux auraient le sida. Les ONG tentent donc d'endiguer cette souche qui rend les traitements très complexes car la tuberculose met environ 2 ans à être soignée.

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De leur côté, les autorités ne font rien. Elles ont même tendance à ne pas faciliter le travail des organisations internationales – par exemple, en février 2014 et pour la seconde fois, MSF a été forcée de « cesser toute activité » dans le pays. Certaines ethnies maltraitées, comme les Kachins, pensent même que la junte encourage ce désintérêt étatique de sorte à les laisser crever dans leur coin. Si c'est une vision sans doute exagérée et complotiste de la situation, on peut toutefois se poser des questions sur la gestion de cette crise humanitaire par l'État tant elle est contreproductive. On a le sentiment que les ONG doivent régulièrement se battre contre le gouvernement en place pour chaque décision prise.

Quelque soit le travail humanitaire envisagé, la question du sida revient toujours dans les réflexions des locaux. Dans des villages que j'ai visités, j'avais l'impression que chaque maison était concernée par le problème. Sur le terrain, il y a heureusement une vraie collaboration entre les différents groupes humanitaires. Tout le monde communique au possible sur les chiffres, les gens et les lieux. Il y a une prise en compte absolue de la maladie. Le premier combat reste pourtant l'accès à des régions qui sont dépourvues d'information et qui subissent là un problème qui n'est pas prêt de s'arrêter.

Chris Huby est documentariste et est représenté par l'agence Haytham Pictures. Suivez-le sur Twitter.

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