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Comment considérer l’atteinte à un membre prothétique d’un point de vue légal ?

Des chercheurs d’Oxford estiment que la justice devra bientôt réévaluer la distinction entre les biens et de personnes.
Image: Thitiwat Samitinantana/Shutterstock

Selon la loi, votre téléphone portable et vous constituez deux entités bien distinctes. Peu importe que vous soyez totalement dépendant de ce petit rectangle lumineux qui repose au fond de votre poche, la distinction entre lui et vous est claire : vous êtes une personne et votre téléphone, lui, est votre bien. Or, la loi analyse de la même façon le cas d'un individu qui utilise une prothèse (comme un membre bionique).

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Tandis que de nouveaux types de prothèses apapraissent et que la relation entre l'homme et la machine est de plus en plus étroite, ces distinctions traditionnelles sont remises en question. Une conférence organisée à l'Université d'Oxford, « Les aspects juridiques de l'augmentation humaine : anticiper l'avenir » a justement traité ce sujet. Il s'agissait d'évaluer les problèmes qui pourraient découler du développement des technologies d'augmentation humaine (human enhancement).

« Les outils juridiques actuels ne seront peut-être plus adaptés dans le futur. »

« Le système juridique garantit une protection solide de l'intégrité du corps de la personne. En revanche, les dommages subis par un membre prothétique ou un élément non-organique du corps en général sont considérés comme des dommages matériels classiques, » explique Imogen Goold, Cressida Auckland et Hannah Maslen dans un document de travail. Mais cela pourrait changer. Leur travail, soutenu par le Conseil de Recherche en Sciences humaines et sociales (AHRC) a fondé le NeuroLaw Project ; celui-ci explore les lacunes légales potentielles qui pourraient mettre à mal notre rapport à notre propre corps dans le futur, et envisage l'idée d'intégrer la législation sur les technologies dont nous sommes dépendants au droit à l'intégrité physique.

Aujourd'hui, les prothèses sont étroitement intégrées au corps de leur propriétaire. Certaines d'entre elles sont activées par les impulsions électriques des masses musculaires ; parmi les exemples les plus extrêmes de ce genre de dispositifs, on peut citer les prothèses squelettiques « ossointégrées » (les prothèses qui sont reliées indéfiniment à la moelle osseuse de l'amputé).

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Le groupe de chercheurs d'Oxford s'est attaché à étudier la nouvelle vague de technologies prothétiques, comme celles qui sont nées au Laboratoire de physique appliquée de l'Université Johns Hopkins. Celles-ci sont intégrées « en profondeur » au corps, ont bénéficié des dernières avancées en neurotechnologies, et pourraient permettre à leur utilisateur de contrôler ses membres prothétiques par la pensée en bénéficiant d'un feedback sensoriel.

Dans leur article, Goold, Auckland et Maslen affirment qu'il « est difficile de prédire les directions qu'emprunteront les recherches actuelles en prothétique, mais on peut dégager une tendance générale : les prothèses et les implants s'améliorent très vite, et sont de plus en plus intégrés au corps des personnes qui en bénéficient afin de palier des fonctions et capacités biologiques défaillantes. »

De fait, la loi devrait envisager de classer les dégâts causés aux systèmes prothétiques au moyen des grilles de lecture utilisées pour caractériser l'agression, les coups et blessures, et les atteintes à l'intégrité corporelle. Les chercheurs font valoir que, « les réponses juridiques aux dégâts causés à un système prothétique, lorsqu'elles se bornent à les considérer comme des dommages matériels, pourraient être insuffisantes pour refléter l'ampleur de la faute et estimer la compensation nécessaire à la réparation du préjudice subi. » La variation dans la sévérité des peines encourues est saisissante. « Les dommages portés à une prothèse de bras est assortie d'une amende de 6600€, et ne peut aller au-delà d'une peine d'emprisonnement de 3 mois. L'atteinte portée à un bras biologique est quant à elle classée comme coups et blessures et peut être punie de 3 ans de prison minimum, ou davantage en fonction de la gravité de la blessure. »

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En l'absence d'une jurisprudence portant sur ces questions, les tribunaux auront du mal à trier ces nouveaux cas au moyen des catégories existantes. Quel que soit leur degré d'intégration, les nouveaux systèmes prothétiques ne sont en aucun cas « biologiquement humains. » Ce sont de simples appareils qui ne contiennent pas l'ADN de leur propriétaire, qui ne les portait pas à la naissance. Ils sont également remplaçables.

« Cela fait partie de moi même si c'est un simple morceau de plastique et de métal. »

Goold et son équipe mettent l'accent sur un autre aspect du problème : dans certains cas, l'intégration pourrait ne pas seulement être physique et technologique, mais déborder sur le plan psychologique. Dans un rapport de 2008, une équipe de chercheurs dirigée par Adam Saradjian a rapporté des témoignages de personnes amputées vivant avec des prothèses. « Avec les années, vous vous y habituez. Elles deviennent un élément à part entière de votre corps » affirme l'un d'entre eux. « Pour moi, ma prothèse, c'est mon bras. Point, » raconte un autre.

Pour ces individus, la prothèse procure un sentiment de « totalité », « d'incorporation profonde » qui s'exprime lorsque « l'amputé sent que son membre artificiel fait partie de lui ; il ne supporterait pas qu'un inconnu mette sa main sur sa cuisse artificielle par exemple, même si celle-ci n'est pas faite de chair et de sang. Ma prothèse fait partie de moi même si c'est un simple morceau de plastique et de métal, » explique l'un des participants à l'étude de Saradijan.

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Quand les prothèses sont considérées de cette façon, elles devraient peut-être être considérées comme des parties intégrantes du « soi » et traitées comme telles par les lois qui protègent l'intégrité physique des individus. Goold ajoute : « Il est essentiel d'anticiper les conséquences du développement de ces technologies. Les personnes risquent de subir de profondes blessures psychologiques suite à des dégâts causés à leur membre prothétique. La loi doit prendre cela en compte, afin qu'elles puissent recevoir une compensation suffisante. »

Les tribunaux ont déjà dû faire face à ce genre de situation par le passé. En octobre 2009, un vétéran quadriplégique a vu son fauteuil roulant motorisé spécialisé (MAD) être endommagé lors d'un voyage en avion. Il était totalement dépendant de cet appareil, qui lui permettait de se déplacer et de le protéger de l'hypotension. Les dégâts subis par MAD l'ont obligé à rester au lit pendant onze mois, le temps qu'il soit remplacé. Il a alors perdu toute autonomie et a dû engager des assistants de vie pour exécuter les tâches du quotidien.

Pourtant, la compagnie aérienne responsable des dégâts matériels ne lui a offert qu'une compensation de 1500$, qui correspond au prix d'un nouveau fauteuil. L'avocate en charge de l'affaire, Linda MacDonald Glee, note : « Pour la compagnie aérienne, l'accident était équivalent à un accident de voiture. » Elle ajoute dans un article : « Ils n'ont pas compris qu'il y avait une différence fondamentale entre un fauteuil roulant classique et MAD. Ils n'arrêtaient pas de nous demander pourquoi Mr.Collins ne s'était pas trouvé un fauteuil de remplacement. » Finalement, après avoir diffusé une vidéo de démonstration, Glenn a pu « expliquer que MAD était un dispositif prothétique qui fonctionnait comme une extension du corps de Mr. Collins, remplaçant ses jambes et les muscles de son torse. En ce sens, Mr. Collins subissait directement les dégâts occasionnés à son fauteuil. »

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« Les législateurs et les décideurs doivent tenir compte du fait que dans le domaine médical, le concept de propriété est sur le point de se transformer radicalement. »

Le cas de Mr. Collins souligne les limites de la loi ; selon elle, la compensation est calculée en fonction de la valeur de remplacement. Après révision du cas, la compagnie aérienne a dédommagé Mr. Collins à hauteur de 20 000$.

Aujourd'hui, la justice peine à évaluer le nombre de personnes qui pourraient (par nécessité ou par choix) augmenter les capacités de leur corps ou de leur esprit. « Nous continuerons d'intégrer la technologie informatique à nos vies et à nos corps, au point d'être parfois incapables de déterminer où elle commence et où elle s'arrête » affirme Glenn. « Les législateurs et les décideurs doivent tenir compte du fait que dans le domaine médical, le concept de propriété est sur le point de se transformer radicalement. »

« Les prothèses interactives modifient notre identité physique » ajoute-t-elle. « Qui serait Stephen Hawking sans les appareils qui l'assistent ? »

Tandis que la distinction entre le vivant et le prothétique s'érode lentement, les lois devront désormais être aussi malléables que nos corps.